(leo) it's not a miracle we needed.

Quand le numéro de Leo s’était affichée sur son portable, il n’en était pas revenu. Eleonor Foxbury l’appelait. Impossible. Inenvisageable. Il avait alors regarder son iphone vibrer avec force sur la petite table de formica. C’était sans doute une erreur, pourtant, alors que la dernière sonnerie allait retentir, il s’empressa de répondre. « Allô. » Avait-il dit d’une petite voix. Il s’attendait à entendre des excuses un peu bidon et un « Désolé, je voulais joindre ta soeur. » Mais non. Elle l’appelait lui. Sans qu’il ne comprenne exactement la raison, la petite voix familière de Leo expliqua qu’il était bon d’entendre sa voix. Il en était resté bouche-bé. Ne trouvant pas ses mots tant sa surprise était grande, il lui proposa de se voir au Marmont. Il regretta pendant de longues minutes d’avoir fait ça. N’était-il pas dangereux de revoir celle qu’il avait longtemps aimé, alors que sa vie commençait à prendre forme ? De toute façon il était trop tard pour annuler et deux jours après, il se trouvait en route , sur sa belle moto, direction le Château Marmont. Il se gara devant, la confia au voiturier et entra. C’était un habitué des lieux pour avoir fait différents shoots à l’intérieur. Il aimait l’ambiance mythique et mystique de l’hôtel et n’hésitait pas à dépenser des fortunes pour manger au sein du restaurant. Il alla s’asseoir au patio, commanda une bière et alluma une cigarette. Sa nervosité était palpable à des kilomètres à la ronde mais il tenta de se calmer. Ce n’était que Leo, une vieille amie, pas vrai ? Et puis il l’a vu arriver et son coeur manqua un battement. Et merde.

And the tears come streaming down your face
When you lose something you can't replace
When you love someone but it goes to waste

Elle l'avait appelé. Elle n'en revenait toujours pas. Pendant longtemps, après avoir raccroché, elle avait fixé d'un regard surpris sa main qui tenait toujours le téléphone, comme si elle le voyait pour la première fois. Elle avait fait preuve d'une témérité dont elle ne se savait pas capable. Elle ne comptait plus les fois où elle l'avait croisé et avait préféré baisser le regard plutôt que de reconnaitre qu'il se trouvait dans la même pièce qu'elle. Elle sentait un manque la ronger, une certaine détresse, même. C'était sans doute pour cela qu'elle avait eu l'audace de le joindre après quoi, deux ans ? Trois ? Trop longtemps.
Il lui avait proposé de se rencontrer. C'était ce qui l'avait le plus désarçonnée. Elle ne s'y attendait pas. Vraiment pas. Avait hésité longuement, balbutiant des mots qu'elle-même ne comprenait pas, avant de s'entendre dire un « OK » sobre et concis. Ce n'était pas elle qui avait accepté. Pas la Leo d'avant, en tout cas. C'était la Leo déprimée, qui cherchait constamment une excuse pour se blottir dans une couverture afin de se morfondre sur un sort qui s'acharnait sur elle comme un chien sur un os. C'est ça, elle se faisait ronger de toutes parts par les crocs acérés du malheur, et elle en avait assez. Lip, Avery, Walton. Ils s'étaient tous fait passer le mot pour lui nuire.
Il n'empêche qu'elle avait accepté. Et qu'elle était là, à errer dans les cuisines de l'hôtel alors qu'elle n’avait rien à y faire. Elle repoussait le moment fatidique où elle allait devoir faire face à sa décision stupide d'accepter de le voir, où elle allait affronter sa lâcheté et son égoïsme. Elle visualisait très bien la scène. Elle allait se poster devant lui, épaules droites et regard assuré, puis lui déclarer sereinement « je suis désolée de t'avoir blessé ». Puis elle lui tournerait le dos, s'en irait, et se sentirait soulagée. Oui. Voilà. C'était pour soulager sa conscience qu'elle avait accepté de le voir. Non pas parce qu'il lui manquait. Mais parce que la culpabilité la dévorait de l'intérieur et en faisait une incapable.
Elle y croyait, à cette version des faits, dur comme fer. Même en s'avançant droit sur lui, après avoir daigné sortir des cuisines. Elle y croyait, s'y cramponnait, se disait c'est ça ma belle, tu vas soulager ta conscience. Un pied devant l'autre. Elle l’aperçut, une bière à la main, avec son air nonchalant dont elle ne savait plus quoi penser. Ses pieds avaient du mal à obéir. Elle avait beau leur enjoindre un, deux, droit devant les gars, elle sentait le rythme faiblir. Elle ne s’assit pas lorsqu’elle arriva à son niveau. Elle ne le regarda pas directement non plus, osant tout juste lui lancer un regard furtif de temps en temps. Elle se sentait tellement stupide. Pourquoi, pourquoi l’avait-elle appelé ? Elle fixait un point imaginaire quelque part sur le mur qui lui faisait face, se triturait les méninges pour briser ce silence qui l’oppressait, et, ne sachant pas quoi dire d’autre, elle s’entendit lâcher « On m’a dit que tu étais à l’enterrement, c’est sympa. » Elle n’aima guère le ton qu’elle avait employé, elle avait presque l’impression de lui reprocher son absence le reste du temps alors qu’elle en était la seule responsable.

Il avait beau tout faire pour avoir l'air détaché et sur de lui, cette entrevue le paniquait. Qu'est ce qui lui était passe par la tête pour proposer une telle chose ? C'était un idiot fini, conclue t-il. Ils n'étaient plus amis, ils n'étaient même plus rien l'un pour l'autre comme lui fait remarquer inconsciemment Léo en l'évitant depuis ces deux dernières années. Il tira avec force sur sa cigarette, laissant la jeune femme venir à sa hauteur. Reste calme Lip, se répéta t-il, ce n'est QUE Léo. Maintenant qu'elle était à peine à quelques mètres, il pouvait plus distinguer ses traits. Et remarqua avec soulagement qu'elle se trouvait dans le même état que lui. Cela le rassurera et il s'autorisa à s'installer plus confortablement dans son siège. « On m’a dit que tu étais à l’enterrement, c’est sympa. » Il eut la désagréable impression qu'elle venait de lui reprocher ces dernières années d'absence, sans se souvenir que c'était elle qui l'avait viré de sa vie. Il retint une remarque cinglante qui se trouvait à l'entrée de sa bouche. Il souffla et tenta de capter son regard. « Effectivement― C’était la moindre des choses. » dit-il sobrement. Alors qu’il sentait venir gros comme une maison le silence gênant s’abattre sur eux, il s’empressa de lui demander. « Je t’offre un verre ? » Il afficha un faible sourire qui se voulait avenant mais qui s’avérait plus ressembler à un rictus gêné. Ses gestes étaient brusques et mal assurés, il bafouillait, ne trouvait pas ses mots, et osait à peine la regarder. Comment avaient-ils pu en arriver là ? Et puis il se souvint de cette fameuse après midi de février. C’est alors qu’il décida de prendre le taureau par les cornes. Ils n’allaient tout de même pas tourner autour du pot toute l’après-midi. Il inspira profondément, pris une autre bouffée de cigarette pour se donner du courage et la regarda enfin dans les yeux. « Je suis sincèrement désolée pour ce qui est arrivé à Avery et à ta famille. J’aurais aimé être réellement présent pour to― pour vous » se rattrapa t-il au dernier moment. Il baissa les yeux vers son verre et ajouta. « Et puis j’aurais jamais du laisser passer autant de temps avant de proposer de se revoir― On était ami pas vrai. » Je suppose, se corrigea t-il mentalement. Nous étions amis je suppose.

Leo ne le regardait pas. Elle savait que lui la fixait, et c’était ce qui l’incitait le plus à ne pas croiser son regard. Elle savait que si elle cédait à la tentation et plongeait ses yeux dans les siens, elle allait se confondre en excuses et probablement lui déclarer un amour inconditionnel. Mais elle était trop fière et refusait d’en arriver à montrer sa petite faiblesse. Alors elle préférait être cruelle, et regarder droit devant elle. « Effectivement― C’était la moindre des choses. » Elle n’était pas sûre que se présenter à l’enterrement de la sœur de celle qui lui avait démoli le cœur à coup de poings fût autant la «moindre des choses» que ça, mais elle s’abstint de le faire remarquer. Elle ne l’avait de toute façon même pas vu. Alors où était l’intérêt ? « Je t’offre un verre ? » Elle répondit d’un simple haussement d’épaules indifférent, et finit par s’asseoir face à lui, jambes serrées, poings posés délicatement sur ses genoux frêles. Elle lui jeta un coup d’oeil furtif, aperçut un sourire quelque peu crispé s’étirer sur son visage, et préféra à nouveau détourner le regard. Ils étaient aussi dérangés l’un que l’autre. Parfait. « Je suis sincèrement désolée pour ce qui est arrivé à Avery et à ta famille. J’aurais aimé être réellement présent pour to― pour vous » Elle ne remarqua même pas son dérapage. La seule chose qui attira son attention, c’était le prénom de sa sœur. Elle avait serré ses petits poings en entendant son prénom, bouleversée de constater qu’il pouvait parler d’elle sans en être anéanti. Ce n’était pas sa sœur, crétine. C'était la sienne, à elle, et il n'avait pas été là pour elle, elle ne devait pas se laisser attendrir par ses propos pleins d'égards, mais vides de sens. Elle voulait en placer une, lui dire quelque chose, n’importe quoi, mais il reprit, comme effrayé de ne pas dire tout ce qu’il pensait si elle l’interrompait. « Et puis j’aurais jamais du laisser passer autant de temps avant de proposer de se revoir― On était ami pas vrai. » Elle nota l’emploi de l’imparfait dans sa dernière phrase, et se dit que c’était ça, le mot important. Était. Elle sentit sa gorge se serrer, et ressentit le besoin de prendre la parole à son tour, de mettre les choses au clair une bonne fois pour toutes. « Tais-toi. Pour une fois dans ta vie, tais-toi. » Elle inspira profondément. Baissa son regard sur ses doigts qui gigotaient nerveusement sans qu’elle leur en eût donné l’ordre. « J’apprécie le geste, Lip, mais tu ne me dois rien. C’est plutôt le contraire en fait. Et je suis désolée d’avoir ressurgi dans ta vie alors que tu as sans doute tourné la page. C’était une erreur, je suis désolée. » Elle avait, en proférant ces propos, imaginé une bonne femme prête à l’embrasser n’importe quand, peut-être une ribambelle de gamins l’entourant, lui qui accordait une importance incroyable à la famille, mais elle n’avait pas réussi à se représenter dans cette jolie petite vie. Elle se leva alors, incapable de dire pourquoi elle abandonnait aussi facilement, avant de se tourner vers lui, un petit sourire triste imprimé sur son visage presque juvénile. « Et à titre personnel, j’aime me persuader que quelque part, nous sommes toujours amis »

Installée en face de lui, elle osait à peine le regarder, ce qui le vexa un peu. Si elle n’avait pas envie de le voir, pourquoi avoir accepté sa proposition ? Il reprit une bouffée de sa cigarette, tirant longuement dessus. Seule la fumée nocive arrivait à le calmer. Sans doute car ce geste lui donnait une certaine contenance. Sans le vouloir, certains sentiments et souvenirs remontèrent. Il tenta d’empêcher l’ascension, pourtant, fourbes et vicieux, ils s’infiltrèrent dans sa caboche qui ne put plus lutter. Ils étaient là, bien présents. Une fois de plus, Leo ne le laissait pas indifférent. Il essaya toutefois de se raisonner, se rappelant que c’était une jolie fille et que c’était cela que les garçons ressentaient lorsqu’ils voyaient une jolie fille. Mais il fallait voir les choses en face. Tout n’avait pas disparu. Cependant, il balaya au plus vite ce constat. Il ne voulait pas s’embrouiller, se mélanger les pinceaux. Il avait besoin d’avoir l’esprit clair pour lui parler. Après avoir déballé ce qu’il avait à dire, il fut surpris par ce que répondit Leo. « Tais-toi. Pour une fois dans ta vie, tais-toi. » Mais il n’eut pas le temps de se froisser, car elle reprenait déjà la parole. « J’apprécie le geste, Lip, mais tu ne me dois rien. C’est plutôt le contraire en fait. Et je suis désolée d’avoir ressurgi dans ta vie alors que tu as sans doute tourné la page. C’était une erreur, je suis désolée. » Il eut envie de lui dire qu’elle n’avait pas à être désolé, qu’il n’avait cessé d’avoir besoin d’elle, même en tant qu’ami et que tourner la page ne voulait pas dire tout balayer. Mais il resta muet, un peu gêné, ne sachant comment lui exposer les choses. Il ne regrettait pas cet appel; il le bénissait même. Sans qu’il ne comprit exactement ce qu’il se passait, il la vit se lever lentement, commençant à s’éloigner, puis se retournant pour lui faire face. Elle lui sourit. Il imprima l’image au fond de sa mémoire. C’était sans doute l’une des plus belles visions qu’il avait eu l’occasion de voir depuis un certain temps. « Et à titre personnel, j’aime me persuader que quelque part, nous sommes toujours amis » Elle s’éloigna lentement. Lip se releva alors brusquement, bousculant bruyamment la petite table de fer vintage , s’attirant les regards mécontents des autres clients. Il s’excusa dans sa barbe avant de la rattraper. Elle ne pouvait pas partir si vite. Pas après qu’il ait attendu autant de temps pour la revoir. Il l’attrapa doucement par le poignet, l’obligeant à se retourner. « Reviens t’asseoir Leo. Si tu penses qu’on est toujours amis -bien que je n’en ai pas eu l’impression ces dernières années- » ajouta t-il dans un sourire « ― viens te rasseoir et discutons comme des amis .» Il lui sourit timidement. Il n’avait toujours pas lâcher son poignet. A vrai dire il n’en avait pas envie, de peur qu’elle se volatilise à nouveau. « Et ne t’excuse jamais d’être réapparu dans ma vie. J’ai toujours eu besoin de toi Leo. En tant qu’amis, cela va de soit. » Il était pitoyable et se savait être un piètre menteur. Car hélas, il se rendit compte en plongeant ses yeux dans ceux de « sa meilleure amie » qu’il n’avait jamais tourné la page.

Elle marchait la tête haute, bien décidée à ne pas se raccrocher à une cause perdue. Il n’y avait eu aucune étincelle, c’est à peine s’ils étaient parvenu à se regarder dans les yeux pendant trois secondes. Elle ne voulait pas vivre ce malaise plus longtemps. Ne voulait pas se comporter comme si de rien n’était jusqu’à la fin de sa vie sans parvenir à se débarrasser du sentiment lancinant qu’il y avait quelque chose, qu’il aurait pu y avoir quelque chose. Elle ferma les yeux dans une expression douloureuse lorsqu’elle entendit un bruit de métal raclant contre le sol, devinant immédiatement qu’il ne souhaitait pas en rester là, et accéléra instinctivement le pas. Pas suffisamment, apparemment, car elle sentit bientôt ses doigts se refermer autour de son poignet, et consentit à se retourner pour lui faire face, craignant de se faire davantage remarquer dans la salle pas aussi vide qu’elle l’aurait espéré si elle résistait. « Reviens t’asseoir Leo. Si tu penses qu’on est toujours amis -bien que je n’en ai pas eu l’impression ces dernières années- viens te rasseoir et discutons comme des amis .» Elle avait dégluti avec difficulté alors qu’il parlait, sentant la culpabilité l’envahir. Cette culpabilité contre laquelle elle sa battait ardemment aussi souvent qu’il le fallait. C’était à cause d’elle, elle le savait désormais, qu’ils n’étaient plus tellement amis. C’était elle qui avait tout gâché, pas lui. Elle vit un sourire mal assuré s’épanouir sur son visage. Et alors, alors, elle décida de leur donner une chance. Juste pour voir. Elle dégagea doucement son poignet d’entre ses doigts et se dirigea à nouveau vers leur table, sachant pertinemment qu’il la suivrait. Cependant, il reprit la parole. « Et ne t’excuse jamais d’être réapparu dans ma vie. J’ai toujours eu besoin de toi Leo. En tant qu’amis, cela va de soit. » « Oh. » Elle entendit ce seul mot, traitre et perfide, s’échapper d’entre ses lèvres dans un murmure abattu. Amis ils étaient, amis ils resteraient. Elle était heureuse de lui tourner le dos, bien qu’elle se fût arrêtée lorsqu’il prononça ces simples mots destructeurs. Il ne voyait pas son visage, et elle ne pouvait que s’en réjouir. Elle se racla alors la gorge comme pour se donner du courage, se retourna pour lui faire face et planta ses yeux dans les siens, s’efforçant de plaquer sur son visage un sourire réjoui, qu’elle sentait s’étirer de manière complètement artificielle. « Bien sûr. Evidemment. Je suis heureuse que les choses soient de nouveau purement amicales. » Même elle se rendait compte à quelque point tout dans ses propos sonnait faux. Mais elle n’attendit pas de savoir si cela était si évident qu’elle le craignait, et se fraya un chemin jusqu’à leur table. Une chance, une seule, et elle la sentait déjà s'effriter entre ses doigts.

Il avait attrapé son poignet par impulsion, sans réfléchir un instant. Mais alors que ses doigts se refermaient sur celui-ci, il se dit que si elle retirait brusquement sa main, il n'aurait jamais aussi mal, psychologiquement du moins. Cependant, à son plus grand soulagement, elle ne fit rien et se retourna même vers lui. Restait-il une infime chance pour qu'elle écoute ce qu'il avait à lui dire ? Il semblait que oui. En détaillant son visage, il savait qu'avec ses mots, il gagnait du terrain, arrivait à la convaincre doucement mais surement, jusqu'à ce qu'elle cède. Il ne lui voulait aucun mal, ça n'avait jamais été le cas. Elle aurait du le savoir depuis maintenant belle lurette. Il tenta de la rassurer avec un sourire timide. Et puis doucement, elle reprit le chemin de leur table. Un profond apaisement le gagna. Elle revenait : ils pourraient discuter, rire peut-être; et surtout il pourrait profiter de son visage, retrouver ses traits familiers, peut être son sourire. Son cœur tressaillit à ces pensées, mais il ne laissa rien paraître, la suivant avec une distance raisonnable.« Bien sûr. Evidemment. Je suis heureuse que les choses soient de nouveau purement amicales. » La phrase lui fit l'effet d'une claque. Il n'aurait su expliquer la chose, pourtant le ton de Leo le fit tiquer. Une vieille sensation l'emplit. Que voulait-elle dire par là? Qu'est ce que cela signifiait ? Pouvait-elle mentir ? Il déglutit difficilement, mais alla se rasseoir comme si de rien était. Pourtant, son trouble pouvait aisément se lire sur ses traits. Qu'allait-il dire à présent ? Qu'il avait quelqu'un dans sa vie pour que tout soit clair ? Non. Impossible. C'était comme si il scellait toutes les chances de la retrouver. « Je suis heureux de te retrouver, Leo. » dit-il en posant sa main sur celle de la jeune femme par dessus la table. « Et je n'ai jamais voulu tout gâcher. Je pensais juste que— » Les mots se perdirent dans le brouhaha des discussions qui les entouraient. Il n'allait pas lui avouer penser avoir ses chances avec elle. Ca n'avait pas été le cas et elle le lui avait bien fait comprendre. Ce n'était sans doute pas une bonne idée de remettre ça sur le tapis. « Enfin. Je m'étais bien trompé. » acheva t-il dans un sourire triste.

Elle se rassit, mais ne dit rien. Elle voulait entendre ce qu’il avait à dire, en partant du principe qu’il avait quelque chose à lui dire, bien sûr. Elle se sentait mal alors que l’idée qu’elle n’avait aucune réelle chance avec lui s’imposait progressivement en elle, creusait son trou dans son esprit et la faisait peu à peu se refermer comme une fleur que l’on prive de lumière. La petite lueur d’espoir qui illuminait vaillamment son esprit s’était évanouie, et elle se contentait désormais de le fixer d’un air vide qui ne manifestait un intérêt que limité pour ce qu’il avait à lui dire. « Je suis heureux de te retrouver, Leo. » Elle entendait à peine ce qu’il lui disait. Tout cela lui apparaissait comme un copieux tas de baratin saupoudré de conneries que l’on raconte quand on souhaite meubler une conversation essoufflée depuis longtemps. « Et je n'ai jamais voulu tout gâcher. Je pensais juste que— » Ça y était, elle avait décroché. Elle ne voulait même plus l’entendre balbutier son tissu de boniments caractéristique du mec en couple. Le brouhaha de la salle bondée sembla soudainement s’évanouir alors qu’elle se redressait et que cette pensée germait en elle. Oh mon Dieu, hurlait une petite voix en elle. « Enfin. Je m'étais bien trompé. » Il parlait mais elle ne faisait même plus semblant de l’écouter. Elle était loin, très loin, à se torturer mentalement, pétrir, étendre, exploiter cette idée soudaine qu’il avait tous les soirs une femme dans son lit, qui l’attendait, qui l’aimait, qui lui distribuait toute l’affection à laquelle il aspirait. Elle se sentait mal, mais elle ne parvenait plus à se convaincre que ce n’était pas vrai, qu’elle se faisait des idées, qu’il s’agissait là de paranoïa, et qu’il allait bientôt se jeter sur elle et l’embrasser, là, devant tout le monde, qu’importe la gêne que cela susciterait. Elle devait savoir, quitte à se faire du mal. Se rendant soudainement compte qu’il s’était tu depuis quelque temps déjà et qu’il la fixait d’un regard empli de curiosité, elle se pencha en avant, prenant appui sur ses coudes pour s’adresser à lui sur le ton de la confidence, bien qu’elle sentît une once de menace d’immiscer dans ses propos. « Tu es avec quelqu’un, Lip ? »